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Sic Transit Gloria Mundi
14 novembre 2014

In memoriam - Le Traité de Versailles de 1919; paix de compromis ou armistice de vingt années ? Première partie

“Diplomats were invented simply to waste time”  Citation attribuée à Lloyd George, Conférence de Paris, 1919

Le traité de paix négocié à Versailles durant les six premiers mois de l'année 1919 présente aux yeux de l'histoire bien des aspects singuliers, de par ses enjeux et ses ambitions, ses signataires et les idées qu'ils défendaient, mais aussi de par les pays absents à la table des négociations bien que toujours présents à l'esprit des négociateurs .

Les principaux protagonistes de la négociation furent les quatre grandes puissances victorieuses : la France, l’Empire Britannique, les Etats-Unis, et l’Italie ; tandis que les principaux absents des discussions qui allaient redessiner la carte du monde étaient quatre empires disparus à l'issue de ce conflit: l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie, l'Empire Ottoman et la Russie tsariste.

Un des paradoxes d'un traité qui voulait instaurer une nouvelle culture diplomatique, le droit des peuples, une société des nations et un nouvel ordre du monde, fut donc qu'il se négocia entre les puissances victorieuses et en l'absence des représentants de 300 millions d'européens. On nous apprend que l’histoire est écrite par les vainqueurs, ce fut aussi le cas de ce traité.


1- Introduction:

Il est important avant de commencer l'analyse du traité de Versailles, de synthétiser la situation de chacun de ces pays au niveau international et intérieur, mais également la situation en Allemagne, en Autriche-Hongrie, dans l’Empire Ottoman et en Russie, dont les évolutions vont peser sur les esprits des négociateurs tout au long des discussions menées à Paris de janvier 1919 à juin 1919.

Les principaux négociateurs, la France, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis, l'Italie, étaient entrés en guerre pour des raisons bien différentes, et rentrèrent en négociation pour des objectifs très divergents, ce sont ces éléments propres à chacune des puissances victorieuses qui seront détaillés dans les points de vue sur le traité de Versailles.

 

Tableau 1. Situation intérieure et internationale en France, Grande-Bretagne, Etats-Unis et Italie

France Intervention en Russie. Occupation de la Sarre et de la rive droite du Rhin. Troubles sociaux liés à la démobilisation et à la fin de l'économie de guerre. Clémenceau, radical de gauche, président du conseil, doit faire face à la rivalité du président Poincaré et du maréchal Foch. Industries dévastées suite au conflit. Dette importante envers les Etats-Unis.

Empire Britannique Intervention armée en Russie. Troubles en Irlande. Occupation de la rive droite du Rhin. Grève des mineurs. Troubles sociaux liés à la démobilisation. Lloyd George remporte les élections de 1918. Il est premier ministre libéral minoritaire dans un gouvernement de coalition avec les conservateurs. Dette importante envers les Etats-Unis. Perte de marchés commerciaux au bénéfice des américains.

Etats-Unis Intervention armée en Russie. Progrès dans le droit du travail, répression de syndicalistes et opposants politiques. Woodrow Wilson est réélu en 1916. Mais il perd la majorité au sénat en 1919. Interventionnisme de l'état. Expansion commerciale à l'étranger.

Italie Intervention armée en Turquie et dans l’Adriatique. Mouvements nationalistes et communistes. Troubles sociaux liés à la démobilisation. Orlando premier ministre jusqu'à sa chute en juin 1919. Dette importante envers les Etats-Unis.

 

Tableau 2. Situation en Allemagne, Turquie et Russie durant le processus de négociation de Versailles

Allemagne Occupation de la rive droite du Rhin par les alliés, perte des colonies et blocus. Troubles et grèves. Démobilisation d'une large part des troupes. Crise de changement de régime. Alliance entre armée et socio démocrates contre spartakistes Famine et pénuries. Les zones minières en Silésie et en Sarre sont occupées. Autriche-Hongrie Sécession de la Hongrie, Slovénie et Croatie. Polonais et Tchécoslovaques devenus indépendants. Troubles et grèves. Menace communiste sur Vienne. Effondrement du régime. Tentative de rattachement à l’Allemagne. Famine et pénuries.

Empire Ottoman Interventions étrangères et soutien des alliés aux rébellions. Conflit avec la Grèce. Troubles et insurrections. Situation anarchique dans plusieurs parties du pays. Effondrement du régime. Tentative de reconstruction du pays mené par Mustapha Kemal. Famine et pénuries. De larges portions de l'économie sont effondrées.

Russie Interventions étrangères et soutien des alliés aux Russes blancs. Conflit avec la Pologne. Troubles et insurrections. Situation anarchique dans plusieurs parties du pays. Guerre civile entre communistes, tsaristes anarchistes, baltes, finlandais, ukrainiens, caucasiens. Famine et pénuries. De larges portions de l'économie sont effondrées.

2-  Du point de vue structurel:

Malgré l'existence d'un enjeu commun, toutes les parties à la négociation se trouvant dans le camp des vainqueurs, la négociation du traité est un processus essentiellement distributif, tant les visions de l'après-guerre des vainqueurs sont opposées notamment sur les sorts de l'Allemagne et de la Russie. De plus l’équilibre des pouvoirs apparaît très inégal entre les quatre parties principales à la négociation. Les Etats-Unis, s'ils ont laissé symboliquement à la France la présidence du groupe des quatre qui mène la phase cruciale des négociations, exercent une position dominante disposant des leviers économiques et du soutien politique pour diriger la négociation.

Les deux puissances impériales britannique et française si elles ont été de proches alliés au cours de la guerre et ont des intérêts communs à se partager les empires vaincus, se trouvent devant des objectifs divergents aux niveaux militaire et économique ce qui va influer sur leur position dans la négociation.

L'Empire Britannique (en effet la Grande-Bretagne n’est pas seule partie à la négociation, les Dominions sont pour la première fois partie prenante, une reconnaissance de leur participation à la guerre mondiale) a éliminé un important rival maritime et colonial (et indirectement voit disparaître les ambitions tsaristes en Asie centrale) et il va rapidement revenir à une politique visant à empêcher l'émergence de tout rival en Europe (alors que son véritable rival et futur hégémon est apparu sur l'autre bord de l'Atlantique).

Les Britanniques se sont englués dans une guerre longue sur le continent qui ne correspond pas à la stratégie traditionnelle de la Grande-Bretagne. Elle a toutefois pu jouer de sa puissance navale pour contrôler les voies de communications, imposer un blocus efficace aux puissances centrales et utiliser une stratégie indirecte (avec des succès mitigés sur certains fronts, notamment dans les Dardanelles face aux Turcs).

La France, qui a le plus souffert de la guerre (avec la Russie, dont les sacrifices ont probablement sauvé les armées alliées sur le front occidental), sort de la guerre victorieuse mais paradoxalement sa situation stratégique s'est détériorée envers une Allemagne, plus peuplée et moins ravagée par le conflit. Avec une Russie sortie du jeu pour l'hégémonie en Europe, la France n’a plus d’alliance orientale pour menacer sa rivale sur deux fronts.

Quant à l'Italie, ayant négociée son entrée au plus offrant entre les deux alliances, elle espère récupérer par la négociation ce qu'elle n'a pu gagner par la force des armes. Bien qu’elle voit disparaître son grand rival austro-hongrois, elle n’améliore pas fondamentalement sa position stratégique et reste le maillon faible des alliés.

Si aucune des puissances ne rencontrera tous ses objectifs dans le traité (on parlera d'ailleurs de paix amputée) les parties s'accorderont ponctuellement sur un processus intégratif. Pour les clauses relatives à la Société des Nations et à l'Organisation Internationale du Travail, ou aux compensations (malgré des divergences sur les montants et les composants de ces dommages de guerre entre les Français et les Britanniques).


A certains points de la négociation des approches intégratives apparaissent ainsi entre au moins deux parties, le Royaume-Uni jouant souvent un rôle pivot, rallié parfois aux vues françaises et parfois américaines.

2.1 L'Italie a négocié son changement d'alliance en 1915 et est entrée en guerre suite au traité de Londres qui lui a assuré d'importants territoires autrichiens en cas de victoire. Elle sort de la guerre affaiblie, ayant subi un revers désastreux à Caporetto, elle a du rester sur la défensive jusqu'en octobre 1918 puis a profité de l'effondrement de l'Autriche-Hongrie pour progresser jusqu'à la frontière croate. Sur le plan intérieur, l'agitation communiste et nationaliste a affaibli le gouvernement qui apparaît comme le plus fragile des alliés.

L'italien Orlando vise à conserver ses quelques acquis et ne peut guère peser sur le traité vu les poids militaire et économique réduits de l’Italie. Elle ne dispose pas d'alternative ne pouvant opter que des opérations militaires limitées et des coups de bluff pour obtenir gain de cause. Se retirer du traité l'aurait exclue des discussions sur l'Autriche-Hongrie, conclues par le traité de Saint-Germain-en-Laye dans lequel l'Italie obtiendra l'essentiel des ses gains territoriaux.

Il y a une forte dépendance de l'Italie envers les trois autres négociateurs, alors que le négociateur italien est sous la pression de sa situation politique, coincé entre l'agitation intérieure et les revendications irrédentistes, et est très dépendant de l'aide économique américaine. L'Italie va ralentir les négociations par ses exigences et ne retirera du traité que quelques gains territoriaux puis l'émergence du fascisme.

2.2 La France se trouve dans une situation délicate. Elle bénéficiait d'un consensus national fort sur la conduite de la guerre et dispose de l'outil militaire le plus efficace, mais elle est militairement, psychologiquement et économiquement épuisée en 1918. L'offensive finale a permis de libérer une partie des territoires occupés mais une poursuite de l'offensive en Allemagne, sans l'aide militaire américaine et britannique est difficile.

Et ses dommages économiques et démographiques sont énormes dans une victoire à la Pyrrhus. L'alternative d'une paix unilatérale avec l'Allemagne est difficile vis-à-vis de ses alliés, mais aussi de l'Allemagne qui négociera dans une meilleure position que face à l'imposition d'un traité allié.

Les enjeux pour la France sont d'obtenir des compensations pour les pertes humaines et matérielles de la guerre, de récupérer des territoires perdus (Alsace et Lorraine) et de sécuriser à long terme la frontière franco-allemande, en poussant si nécessaire son contrôle jusqu'à la rive gauche du Rhin. La France mène une politique réaliste, elle a le plus à gagner au traité mais aussi est la plus exposée à tout compromis, sa ligne de résistance est très élevée mais ne dispose pas d'un rapport de force favorable à long terme.

La marge de négociation de Clemenceau pour la France est faible, il sait qu’il dépendra de l'aide des Américains et Britanniques dans les années d’après-guerre, et fait face à une position anglo-saxonne plus pragmatique envers l'Allemagne (partenaire commercial et rempart contre le bolchevisme).

Clemenceau va donc chercher une autre forme de garantie de sécurité pour la France: la création d'une alliance alternative avec la Pologne et la Tchécoslovaquie sur les frontières orientales de l'Allemagne, qui se substituera au vide stratégique laissé par la Russie. Dans cette même logique, la France bloquera un rapprochement de l'Autriche avec l'Allemagne ou le rattachement des sudètes germanophones en 1919. Et elle va négocier longuement (à défaut d’un détachement ou une annexion de ses territoires, inacceptable pour les anglo-saxons) une occupation de la rive droite du Rhin et une démilitarisation de la rive gauche, afin de repousser la menace allemande.

De même qu’elle obtiendra la réduction des forces allemandes à une armée permanente de cent mille hommes, et la réduction des forces navales et aériennes à une portion congrue (rejointe sur ces points par les Britanniques). Cet enjeu de sécurité va peser sur toute la négociation dans le camp français, et lui fera préférer un royaume serbo-croate à une concession aux demandes italiennes lors de l'affaire de Fiume et les discussions sur les côtes dalmates.

Quand la France aura une approche plus intégrative comme pour la création de la Société des Nations, elle cherchera à s'assurer que celle-ci se dote d'une force armée permanente (proposition qui sera rejetée par Wilson) ou que la Grande-Bretagne et les Etats-Unis puissent être le garant de ses frontières (garantie d'intervention donnée par Wilson et Lloyd George, mais la proposition sera invalidée par le congrès américain et les Britanniques se déclareront dès lors déliés de leur engagement initial).

La France est la partie qui a concédé le plus dans la négociation, mais outre certains gains territoriaux, et la promesse de compensations financières, elle y a gagné vingt années de paix.

 

2.3 La Grande-Bretagne sort affaiblie de la guerre, de par ses pertes humaines mais aussi de par sa dépendance financière envers les Etats-Unis, qui lui coûte sa domination du commerce international. Elle doit gérer une opinion publique britannique et certains ténors, comme Keynes, qui critiquent les clauses du traité, une insurrection irlandaise qui couve et va se déclencher en juin 1919.

Les Britanniques eurent aussi à gérer des négociations internes entre les intérêts des dominions et la métropole, avant de pouvoir présenter une position commune. Canada, Australie, Afrique du Sud, contributeurs à l'effort de guerre, ont vu émerger un sentiment identitaire durant le conflit (certains voient dans les combats de Gallipoli l’émergence du sentiment national australien et néo-zélandais). Ces composants de l'Empire vont instrumentaliser la Société des Nations, poussant la métropole à adopter une position intégrative avec les Etats-Unis, pour en obtenir finalement des gains territoriaux.

Les Britanniques ont une situation plus avantageuse que la France: des gains importants en Afrique et au Moyen-Orient suite à la guerre; l'élimination de la marine allemande et de trois rivaux stratégiques, les empires Ottoman, Russe et Allemand qui menaçaient leurs lignes de communication et leurs positions commerciales. Le négociateur britannique, Lloyd Georges, n'a pas intérêt à une poursuite ou une reprise du conflit, l'opinion britannique veut la paix, même de compromis. Il peut certes envisager un traité séparé, mais il a besoin des alliés, en Europe et en Asie, et il ne veut pas laisser la rivalité franco-allemand se régler sans être partie à l'accord.

De par leur position relativement forte, les Britanniques pourront atteindre deux objectifs, la recomposition de l'Europe pour y contrôler toute puissance rivale, et la relance du commerce mondial sur un modèle économique libéral. Ils visent à ne pas trop affaiblir l'Allemagne, et s'opposent à de trop lourdes sanctions financières ou territoriales. Pour conserver des marchés, car une Allemagne viable et apte à se redresser sera un futur partenaire commercial, et que suffisamment forte elle pourra faire face à la contagion communiste.

Ils joueront aussi des rivalités franco-américaines pour obtenir un compromis sur la Société des Nations, favorisant la paix et donc les échanges mais sans ingérence dans leur empire colonial (la Société des Nations octroiera des protectorats dont une partie sous mandat britannique qui viendront agrandir l’empire). Pour une vingtaine d'années, la Grande-Bretagne est la partie qui tirera les meilleurs avantages de cette paix amputée.

2.4 Les Etats-Unis, sont dans les négociations de Versailles dans une situation assez paradoxale. Ils entrent dans le traité dans la position la plus forte; entrés tardivement dans la guerre en 1917, après des positions de neutralité puis d'intermédiaire dans une paix négociée, ils ont acquis une puissance financière considérable, et sont une puissance militaire en pleine croissance qui a compensé largement le retrait des Russes du conflit.

Sans aucune menace sur leur territoire, et après la conquête de marchés commerciaux et l’expansion de leur flotte marchande vu le déclin des rivaux européens, ils disposent du levier économique des crédits de guerre et des plans d'aide (plan Hoover précurseur du plan Marshall) pour imposer leurs points de vue.

Il est d’ailleurs caractéristique qu’ils se considèrent comme une puissance associée et non alliée, cette nuance est bien plus politique que sémantique. Avant l'armistice et les négociations de paix, des tentatives de médiation via le président Wilson avaient été conduites dès décembre 1916. Le président américain adopte donc une posture d'arbitre, de sage au dessus de la mêlée, et non de partenaire, face aux rivalités des européens.

Les Américains, sous la conduite du président Wilson sont entré dans la négociation doté d'une série d'objectifs politiques assez vagues, résumés dans les quatorze points# ; dont on retrouvera l'essence mais non la lettre dans le traité, car les Britanniques et les Français en avaient des interprétations différentes et ont atténué la portée de plusieurs points. Le principal objectif est de créer un nouvel ordre mondial, avec la Société des Nations et l'Organisation Internationale du Travail, et une nouvelle approche des relations internationales par le droit des peuples et un exercice délicat de "construction et reconstruction de nations" en Europe centrale et orientale.

Les Etats-Unis disposent d'alternatives, la menace de poursuite du conflit qu'ils utiliseront pour imposer le traité à l'Allemagne, et celle du retrait des négociations. Le rapport de force leur est donc favorable. Leur approche avec les Britanniques sera plus intégrative, les points de vue économiques partagés, et la proximité culturelle et politique, permettant de rapprocher les parties.

Malgré la non ratification par les Etats-Unis, les clauses importantes pour Wilson: la création de la Société des Nations et en partie le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes (limités aux peuples européens s'entend) seront réalisées. Les Britanniques étant finalement les héritiers et exécutants des ambitions américaines.

Les Etats-Unis ont, au cours du traité et par la suite, tenté de limiter les compensations réclamées par les Français et les Italiens. Ils joueront sur certaines clauses imprécises, et sur leur poids financier et politique pour obtenir des concessions dans le traité qui affaibliront Clemenceau et Orlando face à leurs opposants politiques.

Wilson paiera le prix fort de cette inflexibilité et ne pourra obtenir le soutien d'un congrès américain divisé, hostile à une partie de sa politique étrangère. Les Etats-Unis ne ratifieront pas le traité, et ne rejoindront pas la Société des Nations, affaiblissant ainsi la nouvelle institution. Ils règleront l'état de guerre par des traités bilatéraux avec les divers belligérants en 1921 et basculent dès lors dans une période d'isolationnisme et de protectionnisme qui perdurera jusqu'au début des années quarante.

3-  Du point de vue processuel:

Il est important de ce point de vue d'inscrire la négociation de Versailles dans un processus d'ensemble en relation avec une dizaine d'autres traités antérieurs et postérieurs. Le Traité de 1919 est donc le pivot d'une dynamique d'ensemble qui va s'étager de 1917 à 1923, entre les traités de Brets-Litovsk et de Lausanne.

De même la négociation devra intégrer des facteurs liés à des accords ou des actes politiques antérieurs ce qui provoquera des tensions lors des discussions entre les quatre principales puissances. Notamment le traité secret de Londres d'avril 1915 entre les alliés et l'Italie qui sera la base de négociation de cette dernière, et qui sera par principe rejeté par Wilson et par pragmatisme renié par les Français et les Britanniques; et les accords Sykes-Picot sur le partage des territoires ottomans et des zones d'influence franco-anglaise qui vont provoquer de grandes difficultés lors des négociations et créer un lourd héritage dans cette région.

Enfin le discours originel de Wilson sur les quatorze points (dont certains sont suffisamment vagues pour couvrir de nombreuses interprétations) devant le congrès américain en janvier 1918, et les termes du protocole d'armistice de novembre 1918, vont créer des attentes chez les allemands et les autres puissances vaincues, mais aussi chez les alliés qui ne se trouveront pas toutes rencontrées dans les clauses du traité, ce qui suscitera tensions et rancœurs.

La négociation du traité de Versailles peut se découper en quatre étapes cruciales, cette découpe reprend une phase préliminaire qui se situe entre les armistices et l'ouverture de la conférence de paix, soit tout le travail préparatoire définissant le lieu de la conférence (Paris), le lieu de signature du traité (Versailles), la lange des travaux (l'anglais pour la première fois dans un traité international, les parties conviées (37 pays si on considère la conférence officielle, auxquels il convient d'ajouter des dizaines de délégations venues plaider leur cause).

Enfin l'organisation même de la conférence, structurée en un conseil des dix, soit France, Grande-Bretagne, Etats-Unis, Italie et Japon avec deux représentants; et une conférence plénière réunissant tous les pays et gérant les demandes à travers une série de commissions (jusqu'à 52 au total), qui traiteront avec des experts et délégués chacun des sujets abordés par la conférence. Cette structure assez lourde, va ralentir et complexifier les travaux, et qu’une nouvelle structure exécutive, le conseil des quatre, réunissant exclusivement les chefs de gouvernement des quatre principales puissances prendra l’essentiel des décisions à partir de mi mars 1919.

Les deux étapes suivantes seront le centre du processus de négociation, avec une place prépondérante des mois de mars à avril 1919 où les quatre grandes puissances s'accordent sur l'essentiel des clauses. Enfin une dernière phase durant les mois de mai et juin, qui verront la présentation et la signature du traité par l’Allemagne.#

1. La partie préliminaire, qu'on peut situer à octobre/novembre/décembre 1918, période dans laquelle se succèdent les armistices avec la Turquie, l'Autriche, la Hongrie, l'Allemagne; puis les proclamations de nouveaux royaumes et nouvelles républiques qui imposeront une réalité dont devra tenir compte le traité: république d'Autriche, de Tchécoslovaquie, de Hongrie, royaume de Yougoslavie.

2. La deuxième étape commence à l'ouverture de la conférence de paix à Paris en janvier 1919, et se termine à la mi-mars 1919. C'est une phase procédurière où les différentes parties vont présenter leurs demandes et revendications. Les objectifs essentiels se rejoignent: il faut orchestrer le concert des nations dans l'après-guerre, imposer des sanctions à l'Allemagne, et contenir la révolution bolchévique.

Mais on voit déjà émerger les différences de perception entre le nouvel ordre mondial et la relance économique pour les américains, la défense et l'expansion de l'Empire pour les britanniques, et les demandes de garantie et de compensations territoriales pour les Français et Italiens d'autre part. On y verra la négociation s'enliser, de par une structure administrative trop lourde et la masse des demandes contradictoires et des attentes des différentes parties au traité.

3. La troisième voit la mise en place du conseil des quatre au 14 mars, qui est une structure allégée et plus dynamique, et voit une accélération à partir d'avril 1919, quand l'essence du traité quotidiennement se négocie entre les quatre grands; Clemenceau, Lloyd George, Orlando et Wilson; et d'où sortiront plusieurs compromis et les clauses plus controversées du traité.

4. La dernière est la présentation de ce traité à l'Allemagne, et ce sans grande marge de négociation pour celle-ci, ce qui va grandement compromettre le respect de certaines clauses dans les années d'après-guerre. Cette étape s'achève par la signature du traité à Versailles, lieu symbolique pour la France qui efface l'humiliation de 1870, et ce après une ultime dramatisation et des tentatives de renégociation de la délégation allemande qui sera mis face à un ultimatum en juin 1919 et finira par céder.

La ligne de temps de la négociation du traité de Versailles ci-dessous permet de retrouver vingt dates clefs et de mieux comprendre la dynamique de la négociation entre 1918 et 1920. Une seconde ligne de temps illustre une quinzaine d’événements extérieurs dans le contexte international qui ont pu influencer les parties à la négociation.


Tableau 3. Dates clefs de la négociation du traité de Versailles

14 octobre 1918 Demande d'armistice de la Turquie

3 novembre 1918 Demande d'armistice de l'Autriche-Hongrie

11 novembre 1918 Demande d'armistice de l'Allemagne

8 janvier 1919 Wilson rédige une première version du pacte de la Société des Nations (SDN)

10 janvier 1919 Note de Foch sur l'occupation militaire du Rhin

18 janvier 1919 Ouverture de la conférence de paix à Paris

03 février 1919 Première réunion de la commission traitant du pacte de la SDN

14 février 1919 Adoption par la conférence plénière de la proposition de pacte instituant la SDN

4 mars 1919 Wilson refuse de dissocier la clause sur le pacte de la SDN du traité de Versailles

14 mars 1919 Proposition anglo-américaine de garantie de sécurité à la France

24 mars 1919 Le conseil des quatre se réunit pour la première fois

5 avril 1919 La clause sur la responsabilité morale de la guerre est ajoutée au traité de Versailles

11 avril 1919 La commission SDN accepte les amendements sur la doctrine Monroe mais rejette les propositions françaises de force permanente et japonaise sur l'égalité raciale

24 avril 1919 L'Italie quitte la conférence de paix (qu'elle réintègrera le 06 mai)

7 mai 1919 Le texte du traité est présenté à la délégation allemande

28 juin 1919 Signature du traité de Versailles

07 juillet 1919 L'Allemagne ratifie le traité de Versailles

19 novembre 1919 Le congrès américain refuse de ratifier le traité

16 janvier 1920 Première réunion officielle de la SDN

21 janvier 1920 Fin de la conférence de paix à Paris


Tableau 4. Dates clefs de l'actualité internationale durant la période de négociation

1917-1923 Guerre civile russe (se termine à la prise d'Ayano-Maysky le 17 juin 1923)

1918-1919 Epidémie de grippe espagnole (30 à 90 millions de morts estimés)

1918-1921 Soulèvement irlandais (conclu par le traité de Londres du 6 décembre 1921)

6 mars 1918 Traite germano-russe de Brest-Litovsk

5 novembre 1918 Proclamation d'indépendance de la Pologne

12 novembre 1918 Proclamation de la république d'Autriche

14 novembre 1918 Proclamation de la république de Tchécoslovaquie

16 novembre 1918 Proclamation de la république de Hongrie

4 décembre 1918 Création du royaume des Serbes, Slovènes et Croates

18 janvier 1919 Les troupes françaises occupent la Sarre

22 janvier 1919 Tentative de conférence entre les belligérants russes en Turquie

4 mars 1919 La Troisième Internationale est fondée à Moscou

Février 1919 Début de la guerre russo-polonaise (elle s'acheva en 1921)

Mars-août 1919 République soviétique en Hongrie

Avril-mai 1919 République soviétique en Bavière

Mai 1919 Début de la guerre turco-grecque (elle s'acheva en 1922)

 

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